
Un Français offre à la Chine des photos de guerre identifiées à tort comme des originaux

Les médias chinois ont salué l'initiative d'un jeune Français, venu en Chine faire don de photographies inédites d'exactions des forces japonaises dans la première moitié du XXe siècle. Parmi elles, pourtant, se trouvent des images déjà connues, a conclu la cellule d'investigation numérique de l'AFP.
Marcus Detrez, 26 ans, s'est rendu en février à Pékin muni d'une mallette en cuir. A l'intérieur, des centaines de photos prises, explique-t-il, par son grand-père lors de la seconde guerre sino-japonaise (1937-1945), théâtre de massacres généralisés en Chine.
D'après des médias d'Etat tels que le journal China Daily et la télévision publique CCTV, le Français a découvert ces prises de vue en fouillant le garage de sa maison de famille en 2021.
Dans une vidéo publiée en 2024 sur la plateforme chinoise Douyin, Marcus Detrez explique en français vouloir apporter "les preuves photographiques des crimes de l'armée japonaise en Chine prises par (son) grand-père" Roger-Pierre Laurens, un entrepreneur français venu à Shanghai dans les années 1930.
Cette séquence, exposant plusieurs des images en question, est devenue virale, engrangeant plus de 70.000 partages sur le réseau social.
Toutefois, la cellule d'investigation numérique de l'AFP a découvert que plusieurs des clichés avaient été pris par des tiers.
Deux photographies ont pu être attribuées à l'agence Associated Press. Plusieurs versions numériques d'images ont par ailleurs déjà été publiées par des médias chinois.
M. Detrez doit être "félicité pour son aimable don" mais "il faut faire attention", réagit Jamie Carstairs, ancien gestionnaire du projet Historical Photographs of China (HPC) à l'université de Bristol, au Royaume-Uni.
"Il n'est pas correct de dire que les photos ont été prétendument prises par Roger-Pierre Laurens (...) Plusieurs d'entre elles ont pu l'être, et d'autres non", conclut M. Carstairs.
- "Vérité" -
La Chine a été l'une des grandes victimes de l'expansionnisme japonais en Asie-Pacifique entre la fin du XIXe siècle et 1945.
L'armée japonaise a commis des atrocités après son invasion de la Chine dans les années 1930, dont l'épisode le plus connu est le massacre de Nankin en 1937, qui selon les historiens chinois a fait plus de 300.000 morts, sans compter d'innombrables autres exactions comme des actes de torture et des viols massifs.
Selon Marcus Detrez, "malgré les menaces des forces japonaises" et "la perte de ses deux enfants empoisonnés par l'armée japonaise", son grand-père a documenté les massacres muni de son appareil photo.
Il a par la suite expliqué à un média chinois vouloir "restituer la vérité aux Chinois".
Après avoir "exprimé son intention de faire don (des photos) à des institutions chinoises", selon la télévision publique CGTN, le mémorial de la seconde guerre sino-japonaise de Shanghai a indiqué les avoir reçues et prévoir de les analyser.
- Reproductions de tirages -
L'AFP a toutefois décelé des incohérences.
Une photo prise lors d'un défilé de la marine japonaise dans une rue de Shanghai a pu être retrouvée dans les archives numériques du Naval History & Heritage Command. Ce centre historique de la marine américaine a confirmé à l'AFP que le cliché avait été pris par un adjudant-chef en 1937.
D'après M. Carstairs, la base photographique du HPC contient aussi plusieurs des images présentées par Marcus Detrez. Elles sont issues d'un album du photographe chinois Ah Fong, qui rassemble des photos prises entre août et novembre 1937 par deux personnes identifiées "S.S." et "S.C.S".
"Des copies de l'album photo vendu par Ah Fong sont présentées à la vente de temps à autre", relate M. Carstairs à l'AFP, ajoutant que le jeune Français semble avoir "reproduit des tirages de certaines photos".
En général, la source des photographies anciennes est "souvent assez difficile à identifier" mais, décrit Jamie Carstairs, il est "facile de trouver qui a constitué des albums et recueilli des tirages photographiques".
Si la démarche du Français a été globalement saluée en Chine, plusieurs internautes ont mis en doute ses déclarations.
"Le Français (...) a utilisé ces photos pour obtenir des vues et des clics (sur le web, ndlr), en pensant que tous les Chinois étaient des idiots", a posté un utilisateur de la plateforme WeChat.
M. Detrez n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP mais, sur Douyin, a qualifié de "spéculation malveillante" les interrogations sur l'authenticité des images.
E.Becker--BlnAP