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Les pays européens se réunissent au chevet de leur acier
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Les menaces de hausse des tarifs douaniers sur l'acier agitées par Donald Trump risquent-elles d'entraîner la fermeture de toutes les aciéries européennes ? Une réunion exceptionnelle de ministres européens est prévue jeudi à Paris pour tenter de "maintenir l'acier" sur le continent qui l'a vu naître.
La sidérurgie qui emploie plus de 300.000 personnes en Europe, s'inquiète d'une hausse de 25% des droits de douane décrétée mi-février aux Etats-Unis, et qui doit entrer en vigueur le 12 mars, alors que l'acier européen est déjà en grande souffrance face à la concurrence chinoise à bas coût.
La commission européenne a réagi à cette annonce en estimant que de telles taxes ne "sont pas justifiées", qu'elles seraient "illégales" et contre-productives sur le plan économique.
Selon le syndicat de la sidérurgie européenne Eurofer, qui réclame des mesures de "protection", l'UE pourrait perdre jusqu'à 3,7 millions de tonnes d'exportations d'acier vers les Etats-Unis, son deuxième plus grand marché d'exportation.
Face aux menaces d'augmentation des tarifs douaniers américains, le commissaire européen au Commerce Maros Sefcovic s'est rendu la semaine dernière à Washington afin de tenter d'apaiser les tensions.
Il a appelé à ne pas se cibler l'un l'autre sur l'acier en rappelant que la production européenne de ce métal, "très spécialisée", était "nécessaire aux entreprises américaines".
- "Surcapacité mondiale" -
Et il a appelé les Etats-Unis à se concentrer sur "la surcapacité mondiale de production", de plus de 600 millions de tonnes, pointant la Chine sans la citer.
"Historiquement, chaque continent produisait à hauteur de ses besoins, mais dans les dernières années, en raison du relatif ralentissement de l'économie chinoise qui construit moins, les surproductions d'acier venues d'Asie inondent la planète", souligne un fabricant européen d'acier qui requiert l'anonymat.
Face à cette situation, le ministre français de l'Industrie Marc Ferracci, hôte de la réunion des ministres européens prévue jeudi à Paris, a récemment proposé "d'adapter la clause de sauvegarde" sur l'acier qui limite les importations sur le marché européen depuis 2019.
"Aujourd'hui, celle-ci limite les importations d'acier à 15% du marché européen de 2016". Mais comme la consommation européenne d'acier a diminué depuis cette date, "cela équivaut en réalité à 30% du marché actuel". Un seuil qu'il juge "trop élevé".
Il demande aussi d'adapter le mécanisme de taxe carbone aux frontières (MACF) qui doit entrer en vigueur début 2027.
- "Tous à risque" -
Avant même l'annonce de Donald Trump sur les tarifs douaniers, qui touche aussi l'aluminium, des milliers de suppressions d'emplois avaient été annoncés fin 2024 par le géant allemand de l'acier Thyssenkrupp.
Des fermetures de sites en France ont aussi été annoncées chez le numéro deux mondial ArcelorMittal qui a en outre suspendu un projet d'investissement de 1,8 milliard d'euros dans la décarbonation de l'acier à Dunkerque (nord de la France), l'un des plus importants hauts fourneaux d'Europe.
Le président d'ArcelorMittal France, Alain Le Grix de la Salle, a peint le 22 janvier un tableau très noir de la situation devant les députés français: l'acier européen est menacé par le coût trop important de l'énergie sur le Vieux Continent, par la surproduction chinoise, le niveau élevé d'importations à bas coût et le manque de demande intérieure, a-t-il expliqué.
La sidérurgie en Europe "est entrée dans une crise importante et grave" a-t-il dit. "Les sites, quels qu'ils soient, sont tous à risque en Europe".
Or la sidérurgie, industrie de base, est beaucoup plus qu'un symbole en Europe.
Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier) réunissant Allemagne, Italie, France, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg, a été le premier socle du rapprochement des Etats européens, supprimant les droits de douane et les restrictions à la libre circulation de ces produits, ce qui a favorisé la coopération économique.
Plus tôt, au dix-neuvième siècle, la révolution industrielle autour de l'acier avait débuté sur le continent européen, dans les hauts fourneaux britanniques. Quant au miracle économique allemand du XXe siècle, il a aussi été nourri en partie par les hauts fourneaux de la Ruhr.
R.Metzger--BlnAP