
L'explorateur Bertrand Piccard en mission pour rendre la décarbonation "désirable"

Les révolutions aéronautiques sont souvent portées par des explorateurs, les industries capitalisant ensuite sur ce qu'elles jugeaient impossible, et il en sera de même pour la décarbonation, déclare à l'AFP le Suisse Bertrand Piccard qui avait réussi le premier tour du monde en ballon en 1999.
Explorateur, psychiatre et président de la Fondation Solar Impulse, il a été invité cette semaine au sommet annuel d'Airbus sur les innovations dans l'aviation, qui vit une nouvelle révolution, celle de la décarbonation, dans un contexte morose pour l'écologie.
La fondation de Bertrand Piccard et celle d'Airbus ont signé à cette occasion un partenariat de trois ans visant à stimuler le progrès en matière de durabilité.
"Ce n'est pas Concorde qui a passé le mur du son la première fois, c'est (le pilote d'essai américain) Chuck Yeager qui l'a fait en 1947. Et une fois qu'il a franchi le mur du son, l'industrie a pu fabriquer des avions supersoniques" à la fin des années 1960, rappelle Bertrand Piccard, 67 ans.
"Dans l'Histoire, ce n'est jamais l'industrie qui prend le risque d'être un pionnier. Il faut toujours un explorateur au début. Ensuite, l'industrie peut capitaliser sur son succès", ajoute-t-il.
- "Rendre désirable" -
C'est comme cela qu'il voit aujourd'hui le combat pour l'hydrogène alors qu'Airbus a remis à plus tard le développement de son avion à hydrogène 100% électrique qui verra le jour vers 2040-2045 et non en 2035 ; l'industrie n'est pas prête à remplir les réservoirs plus tôt.
"Mon but c'est de montrer qu'avec de l'hydrogène, on peut faire un tour du monde, sans escale, sans émission. Il faut le rendre désirable", s'enthousiasme Bertrand Piccard.
En 1999, il avait réalisé avec le pilote britannique Brian Jones le premier tour du monde en ballon sans escale en 21 jours. Autre tour du monde, cette fois-ci aux manettes de l'avion fonctionnant uniquement à l'énergie solaire Solar Impulse en plusieurs escales, entre mars 2015 et juillet 2016, avec le Suisse André Borschberg.
Son nouveau projet Climate Impulse, un avion avec l'hydrogène vert pour carburant, doit faire son premier vol en 2026.
"Il faut sortir de l'idée que la décarbonation c'est cher et sacrificiel, il faut montrer qu'en modernisant, on sera plus compétitifs. Ce sera mieux pour la santé et la qualité de l'air et c'est aussi une question de coût- on aura moins de gaspillage financier, d'énergie et de ressources", souligne-t-il.
"Dans l'aviation, on n'est pas encore rentable en décarbonant, mais par contre on est déjà rentable en étant efficient, les avions consomment 80% de moins de carburant qu'il y a 40 ou 50 ans", ajoute-t-il.
- Argument pour Trump -
L'efficience, c'est un argument auquel pourrait être sensible Donald Trump qui est sorti de l'accord de Paris sur le climat et promeut les énergies fossiles à tout-va, estime Bertrand Piccard.
"Il y a beaucoup de solutions qui sont des solutions de bon sens, et qui marcheraient même s'il n'y avait pas de changement climatique. C'est ce discours qu'on doit tenir à Trump: c'est un meilleur business d'être efficient".
Il ne faut pas non plus sous-estimer les Chinois qui n'apparaissent pas comme les champions du monde en écologie mais pourraient faciliter l'avènement de l'avion à hydrogène, souligne-t-il.
"Quand on voit le photovoltaïque, si le prix s'est écroulé, c'est parce que les Chinois ont commencé à produire en masse. S'ils se mettent à produire de l'hydrogène en masse, cela va faire du bien au monde entier", conclut Bertrand Piccard.
S.Roth--BlnAP