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Le gros coup de blues des Verts en Europe
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Après avoir décroché durant cinq ans des percées majeures sur le climat, les écologistes européens assistent, un peu désemparés, au détricotage par Bruxelles de certains de leurs acquis. Et redoutent que les années à venir soient rudes.
"On est dans l'un des pires scénarios", soupire la Française Marie Toussaint, qui siège avec les Verts au Parlement européen. "Émotionnellement, on se demande tous comment on tient."
Il y a peu de temps encore, l'Union européenne était marquée par un élan environnemental très fort.
Face à la pression des jeunes réclamant des mesures pour protéger la planète lors de manifestations quasi hebdomadaires, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait placé la lutte contre le changement climatique au cœur de son premier mandat (2019-2024). Avec comme point culminant l'adoption du Pacte vert et - symbole fort - l'interdiction de la vente de voitures thermiques neuves d'ici 2035.
En ce début d'année 2025, le contraste est saisissant.
- "Choc profond" -
En juin dernier, les Verts ont perdu un quart de leurs membres aux élections européennes, lors d'un scrutin marqué par une montée en puissance de la droite et une percée de l'extrême droite à travers le continent.
L'hémorragie a été notable en Allemagne et en France, où la liste écologiste menée par Marie Toussaint a failli ne pas atteindre le seuil de 5%, nécessaire pour avoir des députés au Parlement européen.
"Le choc a été assez profond", reconnaît l'eurodéputée de 37 ans.
D'autant que la Commission a depuis changé de cap. Face au risque d'une guerre commerciale avec les États-Unis de Donald Trump, l'exécutif européen assure ne pas vouloir remettre en cause les grands objectifs du "Green deal", mais a fait de la compétitivité une priorité. Mercredi, il a annoncé un coup de frein à certains textes environnementaux pour donner un peu d'air aux industriels.
"Beaucoup d'entre nous ont été assez sonnés", affirme la Danoise Kira Peter-Hansen, qui lors de son élection en 2019 était devenue la plus jeune élue à siéger au Parlement européen.
"Personnellement, j'ai vraiment réalisé en septembre ou en octobre que le contexte politique avait complètement changé", confie l'élue, se disant "un peu triste" de n'avoir pas savouré la dynamique verte.
Désormais, "la situation politique est différente. En tant qu'élus écologistes, on doit tous se demander si on essaye de sauver les meubles, ou si on rejoint l'opposition", décrypte-t-elle. A contrecœur, elle a choisi la première option.
- "Retour de bâton" -
La frustration des Verts est partagée par les ONG environnementales, qui sont elles aussi contraintes d'adopter une posture beaucoup plus défensive qu'il y a cinq ans.
"Quand on regarde le paysage politique au Conseil et au Parlement, la perspective d'avoir la moindre proposition législative ambitieuse sur le climat est extrêmement limitée", souffle John Condon, de ClientEarth.
"On a très clairement une forme de retour de bâton qui s'opère sur ces sujets", note Phuc Nguyen, de l'institut Jacques Delors. Et selon lui, les écologistes n'ont peut-être pas encore touché le fond.
Et pour cause: de nombreux industriels ont réclamé que Bruxelles dilue encore davantage ses mesures climatiques, qu'ils trouvent trop contraignantes face à la concurrence féroce de Washington et Pékin. Au Parlement européen, le chef des Patriotes (extrême droite), Jordan Bardella, a lui réclamé la suspension pure et simple du Pacte vert.
"Il y a des textes qui sont victimes du backlash anti-écolo", estime l'eurodéputé centriste Pascal Canfin. "Mais on ne peut pas dire que tout va sauter", tempère l'élu, membre de la commission environnement au Parlement européen.
Contrairement à certains de ses collègues écologistes, son ancienne famille politique, le quinquagénaire assure "ne pas être déprimé": "Il faut montrer que c'est dans notre intérêt économique de faire cette transition écologique. Et mener la bataille".
P.Schubert--BlnAP