
Turbulences chez Apple, qui tarde à rattraper le train de l'IA

Le report par Apple du lancement de la nouvelle version de son assistant vocal Siri, dopé à l'intelligence artificielle (IA), a effrité un peu plus l'image d'innovateur de la marque à la pomme et accentué son retard dans la course à l'IA.
"Il y a quelque chose de pourri à Cupertino", a écrit, mi-mars, le journaliste spécialisé John Gruber, qui couvre Apple depuis plus de vingt ans, dans un blog qui a fait le tour du monde.
Il reprochait à la firme, dont le siège se trouve dans cette ville de Californie, d'avoir menti sur l'état d'avancement de son programme d'IA générative, baptisé Apple Intelligence.
Il a mentionné la grande conférence des développeurs (WWDC), en juin, puis la présentation, en septembre, de l'iPhone 16, qui devait regorger de nouvelles options basées sur cette technologie, mises en musique par Siri.
"Il va nous falloir plus de temps que nous ne le pensions pour finaliser ces fonctionnalités et nous prévoyons de les déployer dans l'année à venir", a expliqué Apple, début mars.
Depuis septembre, l'écosystème Apple s'est enrichi de nouvelles possibilités IA, comme le "Genmoji", qui permet de créer un émoji personnalisé. Mais certaines ont été critiquées pour leur inutilité et d'autres pour n'être que des imitations d'applications déjà disponibles ailleurs.
Cet épisode, selon John Gruber, a fissuré le statut d'Apple, jusqu'ici "entreprise avec la plus forte crédibilité du monde de la tech". "C'est la fin du voyage. Quand la médiocrité, les excuses et les foutaises s'enracinent, elles prennent le dessus."
Avant même ce raté, Apple affichait déjà un retard conséquent sur ses grands rivaux, en particulier Samsung et Google.
L'analyste d'UBS David Vogt a prévenu que l'absence probable de nouveautés IA intégrées à l'iPhone 17 pourrait peser sur les ventes de l'appareil vedette d'Apple, dont le chiffre d'affaires a atteint 201 milliards de dollars lors de son exercice comptable 2024 (achevé fin septembre).
- "Rester pertinent" -
"C'est inhabituel pour un Apple façon Steve Jobs", considère Marcus Collins, professeur de marketing à l'université du Michigan, évoquant le co-fondateur du groupe, personnage emblématique de la marque, décédé en 2011.
Pour l'universitaire, ce contretemps pourrait être lié, en partie, à la protection des données personnelles, cheval de bataille historique d'Apple, que l'IA générative complexifie sensiblement.
"Apple s'est pris un oeil au beurre noir, parce qu'ils ont fait une grosse promo autour d'Apple Intelligence, mais au final, l'essentiel de ce qu'ils avaient promis n'était pas dans l'iPhone 16", estime Avi Greengart, analyste du cabinet Techsponential.
"La réaction de la presse tech à ce retard n'a pas précisément redoré le blason d'Apple", insiste-t-il.
Après un décrochage, le cours de l'action s'est repris et Apple a conservé, avec une confortable avance, son rang de première capitalisation mondiale, avec une valorisation d'environ 3.300 milliards de dollars.
Même si les ventes du seul produit entièrement nouveau qu'a lancé Apple depuis dix ans, à savoir le casque de réalité virtuel Vision Pro, ont déçu et contraint le groupe a ralentir sa production, la marque "conserve un historique d'innovation qui lui permet de rester pertinent", selon Marcus Collins.
"Pour moi, les outils (d'IA générative) vont changer la façon dont nous nous servons de nos appareils et dont l'IA est intégrée dans nos vies", avance Avi Greengart, "mais pour l'instant, personne ne propose encore un système complet. Cela donne un peu de temps à Apple pour refaire son retard".
La montée en puissance des agents IA, des assistants virtuels à autonomie renforcée, promet des interfaces susceptibles d'aller chercher une photo archivée grâce à une simple description orale ou de trouver un restaurant, y réserver une table et envoyer une invitation pour ce repas à plusieurs de vos contacts.
La nouvelle Alexa d'Amazon, réinvention de son assistant vocal présentée en février, en est sans doute l'exemple le plus abouti à ce jour, mais n'est disponible que sur enceinte connectée, pas sur smartphone.
"Quand ils ont lancé l'iPod, il y avait déjà des lecteurs MP3 sur le marché", rappelle Marcus Collins. "Ils étaient loin d'être les premiers à sortir un smartphone. Mais leur approche était suffisamment différente."
"Donc même s'ils sont un peu en retard à la fête (de l'IA)", dit-il, "les gens seront prêts à écouter ce qu'ils ont à proposer."
K.Busch--BlnAP